Stockholm Syndrom – De paradoxes en paradoxes.

23 août 1973 – Je m’appelle Kristin, je suis employée de banque à Stockholm. Un type est rentré avec une arme dans l’agence. On a appelé la police. Les agents sont dehors. Le type nous braque avec son arme. Personne n’a le droit de sortir. Personne.

Il dit qu’il s’appelle Jan, et qu’il a un ami en prison. Il est furieux. Il veut le faire sortir.

Ça va durer six jours.


Missing you by City/Heights: Awake

6 jours pendant lesquels Jan Erik Olsson retient en otage quatre des employés du Crédit de Stockholm. Il veut faire libérer son ex-compagnon de cellule, Clark Olofsson, encore emprisonné – ce qu’il obtient. Après 6 jours de négociation avec la police, les otages sont finalement libérés.

Stupeur.

À leur sortie, les otages se placent entre la police et leur ravisseur, comme pour former une sorte de bouclier humain, comme pour empêcher que leurs geôliers soient abattus dès qu’ils seront en joue.

« Nous avions pleinement confiance en eux. Ils nous protégeaient de la police ».

Les ex-otages refusent de témoigner à charge au procès. Ils refusent de se constituer partie civile. Ils vont mêmes visiter les deux braqueurs en prison, prenant régulièrement de leurs nouvelles, passant des coups de fils, apportant même des couvertures ou des bouquins.

1978 – Franck Ochberg est américain. Il est psychiatre. C’est le premier à mettre en évidence ce que nous appellerons désormais le Syndrome de Stockholm, cet état psychologique qui veut que les victimes s’identifient à leurs geôliers et adhèrent complètement au mobile de la prise d’otage. Après la prise d’otages, Kristin Ehremann et les trois autres ex-otages ne manifestèrent aucune véhémence à l’encontre d’Olsson et Olofsson, bien au contraire. On dit même que Kristin serait tombée amoureuse d’Olsson.

Ochberg a mis en évidence trois critères déterminant la présence d’un syndrome de Stockholm:

  • Une certaine confiance des victimes envers leurs ravisseurs.
  • Une prise en compte positive des victimes par leurs geôliers.
  • Une hostilité commune (aussi bien de la part des victimes que de la part des ravisseurs) envers les forces de l’ordre.

Jan-Erik Olsson

Ensuite, Ochberg a défini un certain nombre de conditions environnementales nécessaires à l’émergence potentielle d’un syndrome de Stockholm, conditions qui tu vas le voir, sont plutôt particulières:

  • Le ravisseur peut justifier clairement les motivations de son acte. Il sait expliquer et raconter pourquoi il est en train de commettre cette prise d’otage ou cet enlèvement.
  • Le ravisseur ne ressent aucune haine de n’importe quel ordre (raciale, sexuelle, sociale…) envers ses victimes. Il considère ses otages comme ses semblables. Il n’est en principe pas psychotique.
  • Les victimes ne sont pas au courant de l’existence du Syndrome de Stockholm. Si elles le sont, il est beaucoup moins probables qu’elles soient victimes de ce syndrome – même si certains cas plutôt rares ont déjà mis en évidence le fait que certains ravisseurs étaient particulièrement persuasifs et arrivaient à détourner ce genre de préventions auprès de certaines victimes.

On explique en fait ce syndrome de Stockholm par un concept dont on a beaucoup entendu parler, qu’on a souvent mixé à toutes les sauces sans vraiment le définir. On parle ici de l’instinct de survie. Il semble effectivement logique que dans ce genre de situations, l’être humain chercher à minimiser le danger et maximiser sa sécurité. Que se passe-t’il à ce moment là? La victime cherche en fait à attirer la sympathie de l’agresseur, se montrant particulièrement à son écoute et réceptive à son discours. Inconsciemment, la victime éloigne le danger d’elle en tentant de modifier la perception que son ravisseur à d’elle. Même si son ravisseur n’a, dans ces cas-là, quasiment jamais l’intention primaire de faire du mal à ses otages. Dans ce genre de situations, le preneur d’otage ou le ravisseur ne cherche généralement pas à s’approprier ses victimes et à leur faire subir des sévices – il cherche à culpabiliser la société (les forces de l’ordre, la loi, le climat social), qui l’obligent à perpétrer ce type de geste.

On pourrait croire, vu de l’extérieur, que c’est l’agresseur qui manipule ses victimes. C’est en partie vrai. Seulement en partie. Les victimes qui réussissent à attirer la sympathie de l’agresseur deviennent généralement des délégués, pour qui il devient presque simple de jouer avec les émotions de l’agresseur (d’une façon complètement inconsciente, la plupart du temps). Ici se situe la limite, la limite entre la victime-victime et la victime qui devient bourreau – le seuil final de la préservation étant de devenir directement la source de danger.

Ce Syndrome de Stockholm est très intriguant puisqu’il bouleverse les rapports moraux qui se jouent autour du passage à l’acte illégal, qui trouble l’ordre public ou qui met en danger la vie d’autrui. Son existence place d’une certaine manière le projecteur sur un mobile, compréhensible de tous, auquel il est moralement facile d’adhérer – et qui provoque néanmoins dans ce cas, le passage à l’acte illégal, dangereux et condamné par la loi. Il y a donc un paradoxe entre l’adhésion à un acte illégal dont le mobile est moralement recevable, et la condamnation même de cet acte perçu comme illégal – qui est mis en lumière si on s’interroge sociologiquement sur ce que donne à penser l’existence de ce syndrome.

Le syndrome de Stockholm n’est généralement pas irréversible, mais il peut néanmoins briser ou détourner des vies dans leurs continuité. On se souviendra notamment de l’histoire de Patricia Hearst qui avait été enlevée par un groupuscule américain d’extrême-gauche et qui avait fini par renier ses parents et participer directement aux attaques à main armée menée par ses geôliers.

Bref, ça faisait longtemps que je voulais te parler du Syndrome de Stockholm à ma sauce et des réflexions que je m’étais faites en réfléchissant au sujet. Si tu veux pousser un peu plus, je me suis inspiré des travaux de Norbert Skurnik et de ceux de Frank Ochberg en ce qui concerne la définition et l’explication du syndrome en lui-même.

24 réponses à “Stockholm Syndrom – De paradoxes en paradoxes.

  1. « modifier la persuasion que son ravisseur à d’elle » perception, sans doute?

    toujours passionnant, sinon.

  2. J’ai toujours été étonnée que le syndrome de Stockholm paraisse si incroyable aux yeux des gens. Si l’on peut condamner l’acte sans condamner la personne qui le commet, parce que l’on s’identifie à ses motivations (et si l’on a pas été violenté) la possibilité de s’attacher d’une certaine manière au ravisseur me semble assez évidente.
    Dans la mesure où l’autre option (condamner la personne au même titre que l’acte) placerait la victime, précisément dans un rôle de victime, rôle à mon sens trop insupportablement déshumanisant.

    Enfin je sais pas si je m’exprime clairement, je n’ai pas ton talent pour formuler les choses ;o) mais bref, tout ça pour dire que je suis étonnée que cela soit considéré comme un syndrome, et que ce n’ait pas été constaté avant 1971. Ou bien si ?

    — je découvre ton blog depuis qq jours, j’aime beaucoup ta façon d’exposer les choses. Très claire, très intéressante! —

    • D’abord bienvenue dans le coin !

      Ensuite, je comprends ton raisonnement. Le fait est quand certaines situations de prises d’otages ou d’enlèvement, le fait est déjà tellement traumatisant (même si aucun violence n’est commise) pour les victimes qu’elles peuvent aussi avoir tendance à créer une barrière psychologique, parfaitement hermétique au discours de l’agresseur – ce qui exclue le syndrome de Stockholm. Après, le fait de comprendre les motivations de ton agresseur ne fait pas nécessairement de toi une victime du syndrome. La victime du syndrome ressent généralement un sentiment amoureux envers son agresseur. Je ferai peut-être un post plus tard sur le profil des victimes dans ces cas là.

      Tout dépend ensuite, comme à chaque fois, du background psychologique des victimes en terme d’attachement, de relation à l’autorité et de discipline.

      Néanmoins, je nuancerais ton propos en reparlant du cas de Patti Hearst, qui est devenue elle-même la criminelle en ayant une relation avec un de ses ravisseurs, donc en franchissant la fameuse limite dont je parle dans le post.

      • Merci pour cette réponse, je n’avais pas compris qu’il s’agissait d’attachement amoureux en fait.
        Mais dans ce cas oui je comprends mieux.

  3. Bonjour,
    C’est vraiment clair et très intéressant. Je connaissais l’histoire de Stockholm et celle de Patti Hearst mais est-ce qu’il y a d’autres cas aussi « évidents » (ce n’est pas le bon mot mais je n’en trouve pas d’autres) ?

    • Hello,

      Alors, pour des cas différents, on pourrait certainement penser à Natacha Kampush, Jaycee Lee Dugard, peut-être Clara Rojas (mais les psy sont pas d’accords entre eux, parce que le contexte correspond pas au schéma classique)… et même aussi aux Sabines si on veut faire dans le mythologique !

      Le terme que tu cherches, c’est peut-être « flagrant », non?

      Merci en tout cas !

      • Honte sur moi ! Oui, bien sur, c’était flagrant. Et pour les Sabines, c’est évident… Enfin il me semble.
        Pour les trois autres, c’est un peu comme Patti Hearst, le contexte diffère mais il s’agit aussi de personnes seules, pas de groupe. Encore que pour Clara Rojas elle faisait partie d’un groupe…

  4. Bravo à toi.
    Ton post est très clair, bien documenté et assez intelligent.
    Je trouve ton analyse fine alors continue ce genre d’article, j’aime et j’approuve à fond!!!

      • Et bien franchement, je suis admirative de ton analyse sur le sujet alors que ce n’est pas ton « domaine » à priori.
        Et je me dis surtout qu’on aurait tout plein de truc à se dire!!!

  5. Bientôt le syndrome de Bruxelles expliqué ou comment des commentatrices tombent sous le charme de leur Posteur?

  6. Bon Poulet j’ai pas le temps de lire là mais je constate que tu as mis « Missing You » comme son. Et j’aime ça.
    Après, je te dirais ce que je pense du post plus tard 😉

  7. l’histoire de Patty Hearst m’a toujours fasciné. (remarque l’histoire des hearst en général aussi) . Par contre, j’avoue humblement ne jamais mêtre penchée sur l’origine du « syndrôme de stockholm », enfin la « petite histoire » derrière la grande

    Merci 😉

    Je crois que je serais capable de ça par instinct d’autoconservation. Ca me parle. De tte maniere je suis toujours tres sensible aux statuts parfois ambigus (j’ai bien dit parfois) de la victime au sens large. Je crois que c’est ce qui m’interesse le plus. Parfois quand tu commences à vraiment décortiquer les mécanismes, tu t’aperçois que oui, bien sur nous sommes des victimes mais que nous sommes aussi protagonistes d’une certaine manière. Ou surtout que nous le devenons. Nous sommes tous névrosés, à mon sens, et il en faut peu pour faire cause commune.
    Je ne sais si je suis claire. Et le sujet est touchy.

    • Par définition, tu es dans la psychose ou dans la névrose et il vaut mieux pour toi être du côté de la névrose…
      La belle question est quand la névrose de la victime rencontre celle du bourreau… Dieu que c’est beau comme disait Daniel!

      • Ça fait même des petites explosions, tellement y’a de la magie que c’est jouli, dans ces cas là.

        Ou pas.

  8. Pingback: Marseille sous haute tension: Braqueurs, délinquants, crimes, Hooligans, assassinat, violence (3) | Hooligan·

  9. Terriblement interessant, as always (je trouve pas les accents sur ce clavier, pardon…). Merci pour cet expose clair et bien tripant.

  10. Texte très intéressant.

    J’ai très souvent entendu parler de ce fameux « syndrome de Stockholm » mais je ne me suis jamais demander d’abord, pourquoi on l’appelle comme ça, et aussi ce qui fait qu’un otage peut ressentir cela pour un ravisseur qui au départ n’est pas un être « bienveillant » et pour lequel on ne devrait à priori n’avoir que du mépris.

    Merci d’avoir éclairer mes lanternes!
    BisouXX

  11. Pingback: Dyade Pyramidale ou syndrome dit « de Stockholm » | Satynethe·

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